Ouverture
Quand Julie vint emménager rue du Rocher pour aider son frère à guérir d’un mal provoqué par un excès de tempérament, elle trouva l’appartement pratique. Chacun pouvait avoir son espace à soi. Les deux pièces étaient suffisamment isolées l’une de l’autre par une porte coulissante, qui chuintait comme soupirants et donnait au frère et à la sœur une illusion d’intimité. Cependant, une semaine après l’installation de Julie, Oscar commença à se plaindre de ne plus pouvoir travailler. Son esprit suivait avec difficulté les parcours tracés sur le mur du salon par des fils de laine entre des fiches punaisées pleines d’anecdotes remarquables. Aucune de ses histoires ainsi combinées ne lui paraissait compréhensible, dans la mesure où elles s’écartaient du vraisemblable en quête de légendaire. Les mots inscrits le décevaient. Son mur de travail ne lui offrait pas assez d’occasions de voyager par la pensée. Et la présence continuelle de sa jolie sœur à ses côtés le dérangeait. Alors qu’un soir ils mangeaient sur une table basse devant l’écran d’un ordinateur, Oscar lui confia ses difficultés.
« Je m’endors sur mes idées sans pouvoir les approfondir. Je ne suis bon à rien. Je me sens comme un légume. — Et c’est maintenant que tu me le dis, Oscar ? Si tu veux, je m’en vais. — Je n’ai jamais dit que je voulais que tu t’en ailles. — Tu n’es jamais content. — Je n’ai pas besoin de grand chose pour être heureux. — Peut-être, mais tu n’es jamais content. — Ce sont les autres. — Tu parles de moi ? — Je parle des autres. — Mais les autres, ça ne veut rien dire. Si tu veux, nous partagerons la même chambre. Tu pourras travailler dans le salon pendant que je dormirai ou quand je serai à la Rose Céleste. Mais il nous faut un grand matelas, Oscar. — Bien sûr, comment veux-tu faire autrement ? Nous sommes deux. On ne peut pas dormir l’un sur l’autre. — Un grand matelas parce que tu as grossi. »
Ils prirent l’habitude de dormir ensemble. Oscar se lovait contre le bord du lit pour ne pas la gêner, ni même effleurer de ses pieds la peau glaciale de ses chevilles. Julie n’osait lui dire qu’elle n’arrivait pas à s’endormir parce que son frère ronflait comme une tronçonneuse. Elle craignait de devenir insomniaque. Dès qu’il sortait du lit, Oscar enfilait ses chaussons et allait s’asseoir devant son mur de travail qui le faisait continuellement soupirer. Julie préférait s’en détourner. Elle considérait l’entrelacs de ses histoires comme une tentative désespérée de trouver lui-même le chemin de sa guérison dans une solitude de rêves sans partage, où elle ne pouvait trouver place. Elle se trompait. Oscar n’osait lui avouer qu’elle faisait partie de ses sujets d’inspiration. Dès qu’il commençait à travailler, le mur l’absorbait et devenait un territoire sans fin. Il s’y perdait avec enthousiasme. Il ne sortait plus se promener dans les rues. Il ne voulait plus voir personne. Ses amis l’oublièrent. Julie recommença à s’inquiéter.
Extraits...
p.47/48
Nous sommes multiples et singuliers.

Mais nous ne pouvons nous reconnaître,
autrement que singuliers.

Et l’horreur de l’improbable humanité,
supposée dans le multiple,

nous empêche de raisonner,
propice et comprendre,

que nous sommes multiples et singuliers.
p.151/152
De la rue du Rocher,
Julie évitant Saint-Lazare,
vers la Rose Céleste ;

tandis que son frère,
piégé dans sa propre caverne,
devant son mur lacrymal.

Oscar soupirait après sa soeur.
Les merveilles de Blanchefleur.

Le désir c’est la vie.
Les regrets sont mortels.

Vendre des roses.
Se nourrir de senteurs.

Raconter des histoires.
Se blottir contre coeur.

Mais ni l’un ni l’autre n’avaient,
à vrai dire,
le souci d’aimer.

Sur les chemins du désir,
sans hésiter,
c’était eux-mêmes qu’ils poursuivaient.
p.174/175
Ainsi pensa-t-il avoir trouvé la solution,
dans les rues gazées des cortèges,
s’éloignant du regard désolé de sa soeur.

Oscar fit disparaître son visage ;
se vêtit d’une capuche noire et de colère,
rejoignant d’austères inconnus.

Fier de sa nouvelle apparence,
romantique en diable !
il marchait comme un félin.

Quand les circonstances nous conduisent,
par des rencontres imprévues,
à nous imaginer dans la peau d’un héros,

nous chantons ensemble et prêts à tout,
inconscients de notre sauvage apparence,
que le bonheur est dans la subversion.
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