Extraits
Après les événements parisiens et troublant du printemps 2018, l’auteur cherche à s’apaiser dans un voyage sur les terres de son enfance. La ville consolatrice parmi les oubliées de province meurt de n’avoir aucune vanité. Le centre historique tombe en ruines. Ses industries périphériques disparaissent. Sa reconversion dans le secteur touristique a fait faillite. La ville se lamente les samedis et jours de marché. Autour de la place Sainte-Croix, des hauts-parleurs diffusent des flashes d’information, des rires et des chansons.
Saturnales  est un récit illustré de 201 pages.
Il se compose de 9 parties : La Ville Fantôme, Le Vagabond, Préambule aux Songes terribles et trompeurs, Plaisirs de Solitudes, Taches Lunaires, Abattoirs, Dans les Jardins de Pozzo, Les Amours de la Grotte, Les Enfants de Saturne.
Abattoirs. Extraits...
À notre époque butoir de symétries, de symétries grossières, où le destin
de l’homme dépend du niveau d’hygiène de son environnement, la mort
très métallique se conçoit sans cri, sans cri ni douleur, orchestrée pour
empêcher tout remords dans l’esprit des exécutants.
Ne jamais au demeurant. Ne jamais briser la chaîne, la chaîne du froid.
Ne jamais briser au demeurant. La chaîne du froid. Ne jamais briser.
Au demeurant. Briser la chaîne du froid. Ne jamais... Je crois pourtant
qu’elle se brise.
Seules la terre et ses odeurs d’humus peuvent recouvrir une infection,
auxquelles associer la chaux vive, auxquelles associer la chaux vive.
La question du pouvoir d’achat suppose la douleur des bêtes. Comme
l’homme de bonté en éprouve de la compassion, l’augmentation de son
pouvoir d’achat le rend mélancolique.
Pour le dire autrement dans une époque très cynique, très cynique, l’emprise
des technologies, le principe de précaution, le désir de confort, cela
nous éloigne de nos sympathies. L’enfer est d’une froideur verglaçante,
où gèlent des larmes sans désir de réprouvés.
Notre grand soupir d’être renversés, attelés à d’effroyables machines
— morts sans même avoir eu le temps de frémir. Nous maudissons les
hommes-machines.

De leur corps taillé pour les prairies, anges renversés avant l’éviscération,
les poulets écartent leurs restants d’ailes — d’un abandon quasi christique.

Fuir l’enfer déplumés sans ciel pour guide (qu’ils n’ont jamais vu). Avant
l’instant de la première découpe — et c’est encore une position d’espoir.

Nous victimes du crime alimentaire, bientôt chair sous cellophane, matière
marchande de mesures réglementaires, n’avons connu le bonheur
saignant à ciel ouvert.
Le sang vermeil sur la faïence poisse leurs gants d’acier. On dépèce le
vivant. On découpe les chairs. On éviscère. On le fait sans y penser. Aux
étincelles des couteaux, les bêtes par centaines alignées au cordeau se
succèdent. Par centaines suspendues à des rails d’amenée étincelants. On
oublie les images du vivant. On oublie leurs regards affolés. On a des
gestes mécaniques. On se lave les mains. Le sang vermeil sur la faïence
n’a déjà plus d’odeurs.
Les secteurs de l’hygiène et de l’environnement sont parmi les plus
rentables.
L’envers du décor industriel fourmille de tensions irritantes, dans des
hangars climatisés.

Les transformateurs dans le paysage, on les entend bourdonner — derrière
les chardons fleuris. On les entend grésiller, les transformateurs dans
le paysage.

Des bêtes ahuries subissent les transformateurs du paysage, qu’on entend
grésiller du plus loin de l’envers du décor industriel — derrière les chardons
fleuris.

Les tensions irritantes des hangars open-space et climatisés travaillent
contre l’instinct des bêtes.
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