Une biographie légendaire d'Orson Welles en 5 parties,
et qui devrait se lire comme un roman-feuilleton.
Récit de 492 pages, illustré par l'auteur
extraits
p.26
(Léni)
Tandis que je feuilletais la première partie de mon ouvrage à la recherche d’un passage significatif et émouvant qui saurait le convaincre de l’intérêt d’évoquer avec enthousiasme l’existence légendaire d’Orson Welles, je sentais son regard peser sur mon crâne. Ma présence dans son bureau devait l’indisposer, mais je ne m’en inquiétais pas. Grâce à ma ferveur et à ma sincérité, je saurais captiver son attention et l’obliger à reconnaître l’importance d’un tel poète pour l’équilibre spirituel de l’homme occidental, appauvri par le commerce, le divertissement et le conformisme.
p. 178
(Le Voyage au pays de la peur)
La traversée dura plusieurs jours. Orson Welles n’avait aucune raison de s’inquiéter. Cependant, un mauvais pressentiment rendait son voyage désagréable. Une force ralentissait le temps. Un dieu obscurcissait le ciel. Le navire voguait dans un calme cataclysme, en se balançant nonchalamment dans les creux et sur les sommets de vagues lugubres. À tout moment, la mer pouvait s’ouvrir et engloutir le Talisia cosmopolite, gorgé de charbon, dont le pont et les cabines craquaient dans le ronronnement des machines. On apercevait parfois la côte derrière une brume jaunâtre qui semblait cacher de grands incendies. Lui aussi se balançait nonchalamment sur le pont. Il enviait les forces de la nature. Ses idées ne pouvaient rivaliser avec le plus faible des orages. Quand Orson Welles se penchait pour regarder les clapotis de l’eau sombre contre la coque, il se figurait l’apparition d’un monstre marin surgi des profondeurs pour renverser le bateau.
p.255
(Sophie Jesus Martinez)
Contre le hublot d’un avion, Orson Welles cherchait à comprendre sa situation. Il n’avait plus de domicile. Il voyageait sans cesse. Les jours et les nuits se succédaient sans s’inscrire dans les saisons. Il perdait la notion du temps. Il perdait la mémoire. Il recevait des confidences de personnes singulières, qui le révélaient à lui-même en parlant d’un autre.
« De fil en aiguille ou du coq à l’âne, comme disent les français. »
Mais il n’arrivait pas à se souvenir des raisons qui le poussaient à traverser les océans. Il remarqua la présence d’une belle hôtesse de l’air portant un fichu exotique sur la tête. Elle devait être russe ou polonaise. Elle lui jetait des regards complices. Il ne comprenait pas pourquoi. Il aurait aimé le savoir, mais les voyages en avion lui provoquaient de douloureuses crises d’aérophagie, qu’il tentait de calmer en fumant de gros cigares asphyxiant les passagers.